Note explicative : "Romance à la carte" est un petit jeu d'écriture interactive qui prend sa source sur le groupe facebook "Passion Romance". Une histoire est racontée par votre Marquise de Carabas et une question ponctue chaque passage clef afin que les lectrices et lecteurs puissent voter sur la direction générale de la narration. Bonne lecture à tous !
Episode 1 :
– Va te faire foutre, connard !
Jusque là planté sur le trottoir, j’esquive de justesse ma valise qui se jette par le balcon de ce qui semble être devenu mon ex-petite amie. Je ne peux que difficilement m’empêcher de sourire en ramassant mes caleçons et autres vêtements échappés du bagage pendant le vol plané.
Les passants m’observent mi-amusés, mi-gênés. Une femme me foudroie du regard, son portable collé à l’oreille, avant de lâcher un « Tous les mêmes » et de tourner talons.
Je devrais peut-être me sentir un peu plus concerné. Ou au moins légèrement triste. Pourquoi est-ce que je suis soulagé et limite hilare ?
Accroupi sur le bitume, je remets de l’ordre dans mes affaires et mes pensées quand une seconde salve me tombe sur la tête.
Je réalise qu’il s’agit des cadeaux que je lui ai faits quand un gosse se fout sérieusement de ma tronche. En relevant les yeux, je le vois en transparence à travers la nuisette en dentelle offerte pour la dernière Saint Valentin.
Plus haut, j’entends le claquement d’une fenêtre qu’on rabat sans ménagement. Je me laisse aller moi aussi à un énorme fou rire tout en retirant le vêtement délicat de mon visage.
On peut dire que ma journée commence en beauté...
Je jette les choses non désirées dans une poubelle alentour, remet mon chapeau sur ma tête, et la main sur la poignée, je soulève mes petites affaires.
Je dois prendre le large.
Au bout de quelques minutes de marche, je rêvasse un peu. Les dernières semaines me semblent tellement floues. Je crois que son prénom m’échappe déjà. Il serait peut-être temps que j’appelle...
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Miss Ness ?
Nicolas ?
Décision presque collégiale pour : Miss Ness !
Episode 2 :
Il serait peut-être temps que j’appelle Miss Ness. Il s’agit de ma coach de vie. J’ai pris cette décision sous la pression de mon frère et de mon colloc. Ils en avaient marre de devoir me récupérer dans des endroits pas possibles, complètement paumé et sans souvenir des semaines précédentes. Malgré plusieurs visites à l’hôpital et chez une poignée de psy, personne n’a vraiment réussi à savoir d’où venait cette amnésie cyclique. Ils ont donc tous les deux pris la décision de m’avoir un rendez-vous avec la célèbre spécialiste en relation de vie. Surtout de vie amoureuse si j’en crois les affiches de couples enlacés qui décorent sa salle d’attente. Elle a effectivement accepté, une fois de plus, de me recevoir en urgence, moi, mon chapeau et ma valise pleine de vêtements en vrac. Je pense que mon cas la fascine.
– Bonjour Alderic ! me lance sa voix posée.
Elle doit être la dernière personne sur la planète à me nommer comme cela. Même ma mère m’appelle Aldo aujourd’hui...
Je regarde sa silhouette maigrelette. Elle porte un épais pull en laine vert. Un long cou surmonté d’une petite tête gracile lui confère des airs de créature fantastique. Elle arbore d’immenses lunettes rondes et un chignon toujours impeccable qui me donnent la drôle de sensation d’être tombé à une autre époque. Voire sur une autre planète. Pourtant, elle ne semble pas plus âgée que moi, peut-être même de quelques années plus jeunes. Quelle étrange personne cette Miss Ness !
Tandis que je la suis dans son bureau, mon nez se fronce. Cela sent l’encens ainsi que quelque chose de plus indéfinissable. Elle constate ma grimace, sourit, et ouvre une fenêtre pour aérer la pièce. Je prends place sur le canapé, l’air distrait, ma valise posée à mes pieds.
Elle m’écoute lui compter les événements. Sa concentration est palpable. Je la vois noter quelques points sur son carnet.
Passé un temps de réflexion, elle me propose quelque chose.
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Elle aimerait essayer sur moi l’hypnose ?
Elle voudrait tester sur moi un nouveau logiciel ?
Episode 3 :
Miss Ness m’observe un long moment derrière ses larges binocles.
– Et si nous tentions l’hypnose sur vous, Alderic ?
Je déglutis. Non que je n’ai confiance en ma charmante coach, mais je ne suis quand même pas totalement confortable avec l’idée. Je pourrais dire ou faire des choses gênantes. Je la considère un long moment. Elle me regarde depuis son calme olympien. Je me demande si quelque chose peut réellement troubler cette femme. Mon esprit divague quelques instants avant que je ne le ramène à l’ordre.
– Je ne suis pas certain d’être une personne assez fiable pour cela, vous savez...
Miss Ness me sourit avec douceur. Elle m’explique que je serai conscient tout le long du travail et qu’il s’agit juste d’une mise en état second pour percevoir ce qui pourrait éventuellement bloquer ma mémoire.
J’acquiesce plus ou moins convaincu lorsqu’elle allume un petit poste à sa droite pour nous envelopper d’une musique zenifiante. Une demi-seconde je l’envisage beaucoup moins vêtue. Je me fâche intérieurement. Il est vraiment urgent que j’arrête d’avoir des pensées aussi déplacées. Et je suis certain qu’elle n’est pas du genre à mettre les sous-vêtements que je viens de lui imaginer.
Je l’écoute guider ma respiration et m’efforce de m’appliquer. Elle me demande de visualiser un petit chemin de traverse et de lui décrire le paysage. Je vois un champ immense et doré, des maisons rustiques regroupées en hameaux au loin. Le ciel est bleu été et l’air est doux. Je crois me souvenir de cette balade que je faisais jeune homme, lorsque mes parents m’envoyaient chez ma grand-mère.
Je vous raconterais bien la suite, mais...
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Je me suis endormi...
Mon téléphone s’est mis à vibrer dans ma poche.
Episode 4 :
Je vous raconterais bien la suite, mais mon téléphone s’est mis à vibrer dans ma poche. Me sortant de ma torpeur. Les lèvres de Miss Ness se sont étirées en un étrange rictus de mécontentement. Je n’avais jamais vu cette expression chez elle.
– Vous savez que je vous demande de couper votre cellulaire en rentrant pourtant, Alderic, me précise-t-elle de sa voix calme.
Je hoche la tête. J’essaye de ne pas sourire au fait qu’elle doit être la dernière personne à dire cellulaire pour un portable. Puis, décroche quand même pour répondre. Je crois vaguement entendre un petit soupir de la part de ma coach.
– Nico ? Qu’est ce qu’il se passe ? J’étais en séance avec Miss Ness et...
J’écoute la voix de mon colloc interrompre ma phrase. Une boule me remonte immédiatement dans la gorge. Je me lève sans vraiment y penser. Récupère ma veste sur le dossier du canapé, me dirige vers l’entrée, et l’oreille toujours collée à mon téléphone, je fais un geste en guise de salut. La porte se ferme derrière moi, sur l’air totalement sidéré de ma consultante.
Je dévale les étages par les escaliers de secours et débouche sur la rue pleine du brouhaha de la circulation. Je scrute la chaussée à la recherche d’un taxi. Lève le bras dès que j’en aperçois un de libre.
Une fois échoué sur la banquette, je reprends mon souffle et annonce enfin au téléphone :
– J’arrive !
J’appuie sur l’icône rouge et vois disparaitre la conversation de l’écran. Je ressens comme un malaise puissant qui se déverse dans ma gorge.
Pour ne pas avoir à trop réfléchir, je...
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me plonge dans mes souvenirs.
regarde par la fenêtre la ville défiler.
Episode 5 :
Pour ne pas avoir à trop réfléchir, je regarde par la fenêtre la ville défiler. Je me suis habitué à ces rues grises sous ce ciel blanchâtre. Les gens sont un peu raccord dans ce décor sans contraste. Ils ont l’air toujours si pressé et si triste à la fois. Les nuages se déchirent par endroit montrant que le printemps finira bien par arriver un jour, timidement... humidement aussi sans doute.
J’entends frapper les souvenirs sous mon crâne, mais je m’agrippe au paysage urbain pour ignorer leur raffut.
La voix du chauffeur se rappelle à moi au bout de quelques instants.
– Mon petit gars, sans savoir où on va, on va tourner longtemps... pas que ça me dérange, mais ça risque de vous couter un peu.
Confus, je lui donne notre destination. Jusqu’à ce matin, c’était juste l’adresse de notre appartement à Nico et moi.
Mais je pouvais oublier toute notion de certitude à présent.
Mes yeux cherchent à nouveau quelque chose à quoi accrocher leur tentative de diversion. Ma conscience s’enroule autour d’un vieil homme qui pousse son vélo dans la pente de l’avenue. Il semble usé et limé, son nez pointu lui donne des airs de rats des villes.
Rat des villes.
Rat des champs.
Ma mémoire se fissure, le soleil du sud se déverse sans que je ne puisse rien faire.
Putain, Soa ... pourquoi es-tu là ? Pourquoi faut-il que tu viennes foutre encore plus la merde dans ma vie...
La voiture s’arrête et je m’en extirpe à contrecœur après avoir réglé la course. Je me sens si stupide. Si je ne voulais tellement pas la voir, pourquoi me précipiter ainsi ?
Un instant, toute l’ironie de la situation me saute au visage. De toutes les histoires de ma vie, il faut que ce soit celle-ci dont je me souvienne que trop et toutes les autres qui soient incapables de me rester en tête.
J’aurais peut-être dû en parler avec Miss Ness au lieu de débouler ici ventre à terre.
Un frisson m’agrippe le corps. Je réalise que je suis parti sans même remettre mon manteau. Et voilà que je me pèle en bas de chez moi. Quel con !
Mais, Soa est revenue.
Soa... est revenue.
Sur le point de pousser la clenche de l’immeuble...
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je décide de rebrousser chemin.
la porte s’ouvre devant moi.
Episode 6 :
Sur le point de pousser la clenche de l’immeuble, la porte s’ouvre devant moi. Je me retrouve nez à nez avec madame Michon, la concierge. Son visage s’illumine d’un sourire presque malsain. C’est fini, je ne vais pas pouvoir faire marche arrière.
Tout en m’annonçant qu’elle a du courrier pour Nicolas et moi dans sa loge, elle m’intime de la suivre. Sa langue s’agite à une vitesse stupéfiante et m’assomme de toute la masse de son aptitude à la rumeur. Je sais déjà que la petite demoiselle du 3ème est sortie très tôt ce matin en talon avec un tailleur trop court pour elle. Que le célibataire du 6ème a cherché son chat une partie de la nuit dans la cour en osant l’appeler à voix haute. La famille du 4ème a été atrocement bruyante dans l’ascenseur et elle a même trouvé un papier de bonbon sur le sol ! Les gens ne respectent plus rien ! C’est inacceptable. Et puis, évidemment, parce que je le sentais venir comme un coup de poignard bien aiguisé :
– D’ailleurs, c’est qui cette jeune femme qui est arrivée chez vous tout à l’heure ? Une fille avec deux garçons, ce n’est pas sain mon petit ! ça va jaser !
Et on peut compter sur vous pour ça, n’est-ce pas Madame Michon... m’empressé-je de garder pour moi.
Elle me poursuit dans l’escalier que j’ai tenté de prendre pour éviter d’être enfermé avec elle dans l’ascenseur. Elle doit monter dans les étages pour porter son courrier à Madame Guingois. Mes deux lettres dans les mains, je hoche la tête mécaniquement.
– Elle s’est cassé le col du fémur, la pauvre... Quand je pense que ces enfants ne la visitent que tous les deux jours. Quelle époque, mon petit, quelle époque !
J’arrive enfin à mon palier, je la salue poliment et ouvre la porte de notre appartement pour la refermer derrière moi le plus vite possible avant qu’elle ne trouve autre chose à me dire. Un énorme soupir de soulagement sort de mes poumons. J’avais presque oublié pourquoi j’étais revenu si tôt à la maison.
C’était sans compter sur Soa...
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Elle est là devant moi, la moue amusée...
Elle traverse devant moi à peine enveloppée dans une serviette éponge humide...
Épisode 7 :
C’était sans compter sur Soa...
Elle est là devant moi, la moue amusée...
Et, soudain, c’est toute ma vie qui défile devant mes yeux. Notre adolescence, la mer, le sable sur sa peau métissée, les après-midi de fou rire, les soirées à la lumière des étoiles. Les confidences et les rêves irréalisables. Soa...
– Tu en fais une tête, Do !
Je tressaille. Ce surnom qu’elle est la seule à utiliser. Sa voix. La bouche légèrement narquoise. Les yeux en galaxie flamboyante. Je sais que je dois me resaisir avant que...
– Qu’est-ce que tu fous là ? grogné-je sans réussir à mettre assez de conviction dans ma mauvaise humeur feinte.
Nico passe la tête, les cheveux ébouriffés et l’air mal réveillé du mec tombé du lit alors que ce n’était pas prévu...
– Cela m’intéresse aussi de savoir en fait... ajoute-t-il pour information.
Elle nous rit au nez et déclare :
– Je vais prendre une douche et je vous dis ça après les gars !
Elle se penche vers moi, attrape ma tête à deux mains et colle un baiser sur mon front. L’intégralité de mes muscles se crispe. Elle m’aurait giflé que cela n’aurait pas été aussi violent.
Le temps de reprendre mes esprits, elle a déjà claqué la porte de notre petite salle de bain derrière elle. Nicolas me lance un regard plein de compassion.
Il faut impérativement que nous nous débarrassions d’elle, sinon nous sommes foutus... C’est signé d’avance...
Assis comme deux glands sur le canapé, on cherche dans des cases vides des idées cohérentes pour la faire quitter les lieux dans les plus brefs délais. C’est à ce moment-là que...
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Le téléphone de Soa sonne sur la table basse.
Nico a un plan génial.
Épisode 8 :
Le téléphone de Soa sonne sur la table basse. On tressaille tous les deux quand la voix nasillarde du chanteur des Cure braille un « Boys don't cry » en guise d’alerte sonore. Je me vois tendre mon bras et attraper l’objet. Curiosité malsaine ? Réflexe ? Déjà jaloux ? Je suis en mode automatique. À côté de moi, je sens Nico retenir son souffle.
Je ne sais pas trop ce qu’il me passe par la tête, mais je prends l’appel notifié inconnu.
– Allo, déclare ma voix blanche.
– Oh ! c’est toi Aldo ! Je suis rassurée, tu es avec Soa. Elle refuse de décrocher depuis plusieurs jours, me répond sans hésiter la personne au bout du fil.
Je lance un regard désespéré à Nico qui comprend tout de suite ce qu’il se passe. Il s’agit de Léonie, la mère de Soa. Il s’ensuit une longue conversation où elle me fait jurer de prendre soin de sa tornade de fille. Que c’était quand même mieux quand j’étais avec elle, et que je reste le gendre de son cœur pour toujours !
Je passe de livide à translucide, et quand je raccroche enfin, Soa est dans l’encadrement. Elle a compris suffisamment la situation pour me lancer un :
– Alors comme ça on répond à mes appels, Do chou ?
J’entends le bruit sourd du piège qui vient de se refermer sur moi. C’est foutu. Je vais être son chaperon jusqu’à ce qu’elle décide de se barrer d’elle-même. Mon pote me lance un regard plein de compassion... et de soulagement. Il a failli être à ma place
– Puisque tu l’as promis à Maman, je suppose que tu sors avec moi ce soir ?
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Cette fois, c’est non. Pas moyen que je me fasse avoir à nouveau, je refuse !
Je reste interdit. Une forte lassitude s’empare de moi.
Épisode 9 :
Cette fois, c’est non. Pas moyen que je me fasse avoir à nouveau, je refuse ! Je reste silencieux une demi-seconde, puis la toise avec un air de défi. – Non, Soa. C’est toi qui sors avec moi. J’ai des choses à te montrer. Elle penche un peu la tête sur le côté, plisse les yeux, jauge la profondeur de ma motivation. – Ok, conclut-elle. Je me sens toujours plus ou moins à poil quand elle me scanne comme ça. Mais, c’est son pouvoir à elle. Son aptitude à nous connaître trop bien. Nico est en train de se débiner vers l’entrée. Je le chope par l’épaule brusquement et le ramène vers moi. – Donc, c’est décidé, ce soir on sort tous les trois. Et préparez-vous, car on a de la route. Mon pauvre compagnon de misère déglutit. Il est coincé autant que moi et pas moyen que je le laisse déguerpir. Une heure plus tard, je sonne le rappel dans l’entrée. À mes pieds, des duvets, un sac à dos rempli de bouffe et de sodas, et sur moi, un gros coup vent verdâtre hérité de mon paternel. J’ai renvoyé déjà Soa se changer cinq fois, et Nicolas s’approche de moi en grommelant, engoncé dans un manteau à capuche sombre. – Tu vas nous dire où tu nous emmènes au moins ? – À la mer. Ma réponse flotte quelques minutes au-dessus de leurs têtes. – Mais t’es taré, on est au mois de mars, on va se les cailler grave ! proteste Nico. Je le fixe du regard assez longtemps pour qu’il se range à ma décision, en silence. Soa nous observe, amusée. Pas un mot. Elle se baisse juste pour jeter sur ses épaules le sac à dos de victuaille, puis nous précède dans le couloir. – Qu’est ce que tu mijotes ? me souffle mon colloc d’infortune. – Tu verras quand on y sera. Mais, à vous je peux le dire, j’en sais foutrement rien. Fallait juste que je trouve un moyen de l’éloigner de la ville et de toutes les embrouilles qu’elle pourrait m’y causer. À trois idiots sur une plage donnant sur la manche, on devrait juste risquer au pire un rhume, au mieux quelques souvenirs. Les souvenirs. Je réprime un malaise, je le range dans mes poches, et je ferme la porte derrière nous. Le plus difficile va sûrement être de trouver la musique pour le trajet. Logiquement, comme je conduis, je décide. Mais la logique n’a jamais été le fort de ces deux-là. L’ascenseur nous dépose au seuil du parking. Celui-ci est sombre et froid. Je n’y ai pas mis les pieds depuis des mois. En plein cœur de la capitale, difficile d’avoir envie de sortir sa bagnole. On s’installe. Nico à l’arrière. Soa sur le siège passager tente déjà de trifouiller mes CD. Je grogne. – Oublie, la musique c’est moi. Elle se ravise avec un petit sourire narquois. – On prend le contrôle de ce qu’on peut, hein Do Chou ! Quelle peste. Je souris à mon tour, malgré moi. Nico pleurniche qu’on va encore écouter du rock indép périmé depuis 15 ans. Je l’ignore et enfile le premier CD qui traine dans ma portière. Un riff de guitare des années 90 donne raison au ronchon et la voiture se met en branle pour fêter ça. Au bout d’une heure de trajet, Soa réclame une pause. Nico menace d’acheter de la musique plus récente sur l’aire d’autoroute. Et, je me sens étrangement bien. Je les attends en sirotant un café dégueulasse et je regarde la nuit se pointer sur les coups de dix-neuf heures. C’est bientôt le printemps, je crois. On en a fait des conneries tous les trois tout de même. Pourquoi tout a déraillé comme ça ? Était-ce vraiment de ma faute après tout ? Je glisse mes doigts sur l’application de mon téléphone. Miss Ness m’a laissé un message. La mère de Soa, trois SMS. Mon patron, un email. Je me décide à… -------------------------------- écouter mon répondeur. lire les textos. lire le courrier électronique.
Episode 10 :
Je me décide à écouter mon répondeur. La voix douce et professionnelle de Miss Ness me coule dans l’oreille. Elle s’enquiert de mon bien-être. Trouve que je suis parti un peu précipitamment de son cabinet… sans la régler. Ce qui peut évidemment être fait à la prochaine session. Me précise que j’ai oublié mon blouson. Attend de mes nouvelles pour fixer rendez-vous. Et termine par un sobre, mais appuyé « Rappelez-moi, Alderic ».
Sur le point de le faire dans la foulée, j’aperçois Soa et Nico ressortir du petit commerce attenant aux pompes. Ils ont les bras chargés de bonbecs et autres saloperies. Et je vois même un CD dans le fatras qu’ils ramènent.
Mes sourcils se froncent. Lorsqu’ils sont non loin de moi, je déclare.
– J’ai un coup de fil à passer, installez-vous, je vais marcher un peu.
Ils hochent la tête, la bouche déjà pleine de bonbons à la gélatine et prennent d’assaut gaiement ma bagnole qui va bientôt être envahie de papiers collants et autres emballages.
De guerre lasse, je m’éloigne avec à peine un rictus crispé sur les lèvres. Mes pas narguent un banc qui m’offrait son assise, je m’enfonce à l’arrière du parking plus ou moins désert et laisse mon smartphone composer le numéro de Miss Ness.
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Je tombe sur son répondeur…
Elle décroche presque immédiatement.
Episode 11 :
Elle décroche presque immédiatement.
Sa voix apaisante dans le combiné me salue. Je reste un instant le regard dans le vide. Quand je reviens à moi, mes yeux se posent sur la bagnole. Ces deux nigauds sont en train de me faire des grimaces, la face écrasée contre les vitres. Je contiens un petit rire nerveux.
– Alderic ? S’interroge ma charmante coach.
– Pardonnez-moi d’être ainsi parti de votre bureau. Je vais avoir du mal à vous donner une raison valable, car il n’y en a pas vraiment. Je crois simplement que ce qui me rendait heureux hier a débarqué chez moi sans prévenir. Et, voyez, j’en ai oublié mon blouson. Je vais tenter de faire avec cet impondérable quelques jours, et je pense que vous pourrez prévoir… je ne sais pas moi, une cuillère, une spatule, un grattoir, pour me ramasser dans les fibres de votre moquette quand cet entracte sera terminé. Merci d’avance pour votre patience, vraiment…
Ma voix se brise un peu plus que je ne voudrais. J’ai d’ailleurs quelques larmes qui viennent humidifier mes cils. Le vent. C’est traître, le vent.
Elle me dit qu’elle comprend. Me donne un conseil que je n’écoute pas vraiment. Me souhaite une belle fin de journée. Je lui propose la même chose.
Un long moment j’entends mon téléphone me répéter à intervalle régulier que l’appel est terminé. Un goût un peu métallique dans la gorge.
Les deux idiots se sont enfoncés dans la banquette pour bâfrer leurs saloperies en douce. Pas moyen qu’ils prennent le contrôle de la musique ! Pas moyen !
On repart donc au rythme…
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Du dernier album d’Ed Sheeran.
D’un excellent live de Janis Joplin à Woodstock.
Episode 12 :
Miss Ness pose le combiné. Un léger soupir dévale ses lèvres. Pourquoi lui ? Elle a des clients plus brillants, certains même plus séduisants que lui. Qu’est-ce que cet idiot égocentrique a de si spécial qu’elle n’arrive pas à le sortir de ses pensées? Et pourquoi cette boule dans la gorge lorsqu’il lui a parlé de façon si laconique ?
Elle hausse les épaules et à nouveau soupire. Le soleil décline vite à cette période de l’année, elle l’observe quitter l’encadrure de sa fenêtre. Interdite.
Soudain, elle a envie d’un bain. Là, maintenant, dans l’ambiance feutrée de son appartement, comme une urgence de lâcher prise. Elle détache son chignon et ses longs cheveux viennent murmurer tout contre sa nuque. Se relevant du sofa au design impeccable, elle cherche du regard son portable. Aucune notification. Évidemment, pourquoi rappellerait-il après tout ?
Elle laisse tomber sa jupe le long de ses cuisses fines, son pull à maille verte vient rejoindre le tapis en laine épaisse. Ses pieds déjà nus, joliment manucurés, l’emmènent jusqu’à sa salle d’eau.
Ses doigts glissent tout contre le battant de l’armoire de rangement. Ils trouvent le satin d’une petite sacoche sombre. Un mince sourire ourle les lèvres fines de la jeune femme. Une fois, le contenu déposé soigneusement sur le rebord de la baignoire, elle détache son soutien-gorge. Une très légère sonnerie indique qu’elle a reçu un texto. Elle se précipite dans le living pour attraper son téléphone afin d'y lire :
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« Si j’avais besoin de vous au milieu de la nuit, seriez-vous là, Miss Ness ? Alderic. »
« Votre rendez-vous de 10 h a annulé – Message automatique merci de ne pas répondre »
Episode 13 :
« Si j’avais besoin de vous au milieu de la nuit, seriez-vous là, Miss Ness ? Alderic. »
Miss Ness relit plusieurs fois le message pour être certaine de ne passer à côté d’aucun sous-entendu. Manifestement troublée, elle expire longuement pour que son cœur cesse cet assourdissant boucan.
Quelques minutes se sont déjà écoulées quand elle se décide à répondre un aussi professionnel que possible :
« Évidemment, Alderic ».
Mais une sensation fugace lui glisse sur l’échine. Elle met ça, avec une mauvaise foi qu’elle accepterait peut-être de reconnaître sur le divan d’un collègue, sur le fait qu’elle est nue et qu’elle a donc sans aucun doute froid.
En quelques enjambées, elle retourne à son bain. Sans avoir oublié de poser son téléphone tout près d’elle. La suite de son programme s’amorce lentement, peut-être admettra-t-elle un jour que des images plutôt suggestives de son patient ont ponctué sa petite session de plaisir solitaire. Peut-être. Mais cela ne sortira pas de cette salle d’eau d’ici là.
Et à plusieurs kilomètres de là,
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Aldo se demandait ce qu’il foutait là.
Aldo n’avait cure des conséquences de son message.
Episode 14 :
Je n’avais cure des conséquences de mon message. Totalement inconscient de l’effet que je pouvais, alors, avoir sur Miss Ness, j’en étais à tenter de survivre au terrible duo musical qui était en train de brailler devant moi. Soa et Nico s’étaient mis en tête de m’encourager à grand renfort de hurlements soi-disant mélodieux tandis que je m’efforçais d’allumer notre feu de camp.
J’avais la mâchoire crispée, tandis que je parvenais difficilement à obtenir une flambée. Par miracle, ils firent enfin une pause dans leur opéra risiblement comique. Un frisson se libéra de mon échine alors que je posais mes fesses par terre. Je me décidais à poser la question qu’il fallait tôt ou tard évacuer.
– Et donc, Soa, qu’est ce que tu fous là ?
L’intéressée arrêta de chatouiller Nico pour me regarder. Son visage s’était brutalement fermé, elle finit par venir s’installer face à moi. Ses yeux fixaient le feu naissant, quasi absents.
– J’ai pas trop envie d’en parler, mais tu ne vas pas me laisser le choix, n’est-ce pas Do ?
– En effet, répondis-je avec douceur.
Je la connaissais depuis assez longtemps pour savoir quand elle était vraiment en souffrance. Surtout derrière son masque le plus réaliste, celui de la pseudo joie.
– Je suis tombée amoureuse, y a quelques mois. Mais la chute m’a fait plus mal que prévu. Le gars était en fait un gros connard et j’ai rien vu venir.
Nico se rapprocha à son tour. Anxieux.
– J’ai réussi à sortir de cette spirale, mais j’ai chopé le vertige de vivre, tu comprends, Do ?
Oui, quelque chose au fond de moi était parfaitement réceptif, en effet.
– J’avais besoin de vous revoir, de te revoir toi, de me souvenir d’une époque où ça faisait pas mal d’exister.
Nico posa une main dans son dos, elle se blottit contre lui. Mon pote et son cœur grand comme une planète, qui, quoique profondément amoureux d’elle, avait toujours respecté que Soa me fasse passer en premier. Ce soir, ça me rendait triste. Je sentais combien ils auraient simplement pu être heureux depuis le début en étant juste ensemble, présents l’un pour l’autre. Pourquoi ne comprenais-je cela qu’à présent ?
– On est là maintenant, me contentais-je de dire d’une voix rassurante.
Au même moment, ma poche vibrait. Soa remit instantanément son masque.
– Une admiratrice ou c’est moi qui te fait de l’effet ? ricana-t-elle.
Je haussais un sourcil pour, une fois mon smartphone en main, jeter un œil à l’écran.
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1. Il s’agissait d’une simple notification à la con.
2. J’avais reçu un message de Miss Ness.
Episode 15 :
J’avais reçu un message de Miss Ness. En haut de mon écran, je lisais pourtant qu’il était plus de 22H. Sans me préoccuper de mes amis qui, en pouffant, rentraient dans d’abracadabrantes conjectures, je jetais un œil au contenu de la missive numérique.
« J’espère que tout se passe bien pour vous, Alderic » indiquait cette dernière.
Un frisson me parcourut l’échine. Un étrange mélange je dois dire. J’eus la plus grande des difficultés à démêler la pointe vive au cœur de sentir qu’elle se souciait de mon bien-être si tardivement et la gorge serrée d’avoir laissé entendre que je pouvais me sentir terriblement mal.
D’ailleurs, était-ce le cas ? Me sentais-je aussi mal que le craignais plus tôt ? Relevant le front, je regardais Soa et Nico partis chahuter près des vagues, comme les gosses qu’ils étaient depuis leurs âmes. Des images en rafale du tsunami de tendresse que m’évoquait mon passé avec cette jeune fille douce, câline, pétillante, indomptable flamme, glissaient sur mes lèvres un sourire gentiment nostalgique. Je n’avais plus de désirs pour elle, plus ainsi, plus comme ça. Mais un puissant besoin de la protéger me fourmillait dans les bras. Sans trop pouvoir être précis, je sentais quelque chose se remettre en place en moi.
D’un geste, j’installais mon téléphone entre mes doigts pour y écrire :
« Mieux que je l’envisageais. Je suis confus de vous avoir alerté sans raison... »
J’allais ranger le boîtier dans ma poche quand il se recommença immédiatement à vibrer. Une réponse m’y attendait déjà.
« Je suis soulagée. »
De façon fugace, je m’interrogeais sur le côté parfaitement professionnel de cette réponse, mais c’était amplement estompé par la chaleur qui me remontait depuis le torse et allumait un grand sourire sur mes lèvres. En pensée, je me figurais la douce Miss Ness, apaisée de lire mes mots, malgré l’heure tardive.
Nico et Soa revinrent plus ou moins trempés de s’être éclaboussés d’eau glacée et je farfouillais dans mon sac pour trouver de quoi les sécher devant le feu. J'acceptais l’évidence, j’étais le seul adulte de l’escapade…
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1. Et même s’il fallait m’arracher l’aveu, cela me rendait très heureux.
2. Heureusement, Papa Do avait quelques tours à leur jouer !
Episode 16 :
Et même s’il fallait m’arracher l’aveu, cela me rendait très heureux.
Rapidement, Soa nous bombarda de questions. Elle avait besoin de rattraper le temps perdu. Sa surprise allait croissant en apprenant par la bouche de Nico que j’enchaînais les conquêtes sans réussir à m’investir. Je regardais mes pieds, absent. L’impression que l’on parlait de quelqu’un d’autre. Je ne me sentais pas du tout concerné. Ce fut au tour de mon pote de devenir brutalement silencieux quand elle lui demanda le nom de sa petite amie.
Après le passage d’une file entière d’anges à la queue leu leu, il finit par bredouiller :
– J’ai pas de copine.
– Euh, tu me charries là ! s’estomaqua Soa.
– Bah nan, j’en ai pas… Do les prend toutes ! couina-t-il.
Je savais que c’était une tentative d’humour, mais au fond de mon cœur, pour la première fois, je sentais combien j’avais dû lui faire mal en sortant avec Soa. Si seulement à l’époque j’avais compris les sentiments naissants qu’il avait pour elle.
Mais quand on est jeune, on est tellement con. Je me mis à agiter un peu les braises pour ne pas les laisser mourir, en fredonnant un vieux tube des Doors, de circonstance.
Comme il se doit autour d’un feu, ils m’accompagnèrent. Pour n’importe qui d’extérieur, cela devait être un supplice pour les oreilles. Pour nous, c’était beau. Vraiment super beau.
Ils se blottirent l’un contre l’autre dans leurs sacs de couchage. Je les regardais avec la tendresse du grand frère que je me sentais si brutalement devenir.
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1- Puis, je finis par m’endormir aussi.
2- Acceptant le défi de la lune, je décidais d'aller marcher un peu le long du rivage.
Episode 17 :
Acceptant le défi de la lune, je décidais d'aller marcher un peu le long du rivage. En apnée dans mes pensées, mon passé, mes émotions, incapable de me relâcher assez pour dormir. Des instantanés de Soa me laissait un goût de bonbon acidulé et un son strident au fond de mon crâne. Lancinant. Comme si j’avais voulu masquer quelque chose, ne préserver que ce qui était bon, doux, joyeux. Mais ma raison venait buter invariablement sur la part d’ombre que mon cerveau refusait de me laisser voir. Je m’agrippais au flot continu de mes réflexions qui me faisait dériver encore et encore de mon obscur objectif. Puis, à la faveur du murmure des vagues, un son surgit de ma mémoire. Un son acéré, coupant, douloureux. Ce son faisait quelque chose comme « Hey Connard ! » . Oui, ce son m’interpellait, était hostile. Il me serrait le coeur. De la sueur perla de mon front malgré la brise fraîche. La migraine monta le volume si brutalement que cela me mit presque à genoux.
Des bruits de courses, l’odeur d’un trottoir arrosé d’urine, et dans ma bouche un désagréable goût ferreux.
La douleur qui pulsait. Et ma mémoire devant moi, mise à nue, violée, humiliée. Oui. Cette nuit là tandis que je marchais dans la rue. Par derrière. D’insultes en crachats, on m’avait tabassé. Comme ça. Sans raison particulière. Juste parce que je me trouvais là. Rentrant chez moi après une longue journée de bonheur avec Soa.
Au mauvais moment. Au mauvais endroit.
Et le contraste insoutenable de la lumière face à ces ténèbres inexplicables. Ma fierté et ma honte engagées dans un pugilat sinistre. Puis, l’amnésie.
Ne plus jamais aimer. Ne plus jamais prendre le risque d’être aimé. Ne manquer à personne si cela devait recommencer plus fort… plus définitif.
Totalement choqué par ce souvenir jeté à ma face au milieu de la nuit, je reste inerte. Tremblant. Je ne peux plus oublier à nouveau. Le verrou a sauté, il gît à mes pieds, inerte.
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1- Nerveusement, je fouille dans mes poches pour trouver mon téléphone.
2- J’ai envie de crier, de pleurer. Mais rien ne sort. Je suis figé. En total stupéfaction.
Episode 18 :
Nerveusement, je fouille dans mes poches pour trouver mon téléphone. Je tremble. Mon souffle est inexistant. Mes yeux se troublent. Pas de larmes mais de vertige. Je sens la nausée violente remplir ma gorge, ma bouche, mon palais. Je vomis, agrippé à mon téléphone, l’autre main enfoncée dans le sable.
Pourquoi à ce moment précis je me sens si minable, si pathétique ? Pourquoi je ressens encore la morsure de la honte au creux de mon ventre ?
Je m’assoie encore sonné. Les vagues viennent lécher la plage à mes pieds. Je dois réussir à me lever. Ma paume serre toujours mon cellulaire.
Mon cellulaire…
Miss Ness. J’ai envie de sourire mais je n’y parviens pas. J’ai les lèvres scellées. Le coeur qui bastonne ma cage thoracique. Et en même temps la sensation de flotter au dessus du vide. Il me suffirait d’avancer tout droit dans l’eau glacée et tout serait fini très vite. Tout droit vers les abysses. Tout droit vers le silence. Le calme. L’oubli à nouveau. Définitif cette fois.
Miss Ness. Ma pensée tressaute. Mes doigts glissent sur l’écran.
« Je suis soulagée ».
Je regarde le message comme si je le lisais pour la première fois. Du soulagement ? Est-ce qu’elle saurait m’offrir du soulagement ?
Il faudrait parler pour ça. En suis-je seulement capable ?
Un bruit me faire sursauter. Des pas se rapprochent. Mon souffle se coupe à nouveau. Je rate plusieurs battements.
– Hey vieux.
La voix de Nico. J’expire brutalement. Je me lève et déboule vers lui pour qu’il ne réalise pas que je viens de gerber. On se met à marcher en direction de notre petit campement nocturne.
– Tu te sens bien ? essaye t’il.
Il me connaît depuis les bancs d’école. Je vais avoir du mal à botter en touche.
– Ouais. Soa. Tout ça.
– Ouais, ponctue-t-il.
Nouveau silence.
– Tu vas te remettre avec ? dans sa voix, palpable, l’angoisse de ma réponse.
– Non, vieux. J’ai compris cette fois.
– Compris qu’elle est trop chiante ?
– Non Nico, compris qu’elle est faite pour toi.
Ma tonalité se voulait douce, mais elle était presque absente. Nico arrête de marcher. Il me fixe à quelque pas du feu où Soa dort déjà. Son expression est indéfinissable. Surprise ? Soulagement ? Stupeur ? Impossible de traduire.
– Tu me charries ? murmure-t-il enfin.
– Non. Je le pense.
On s’assoit, silencieux, pour raviver les braises.
– Mais du coup, pourquoi tu es soucieux ? finit il par connecter.
Je mens, un peu pris de court.
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1 – Parce que j’espère qu’elle va le comprendre vite.
2 – Parce qu’elle est quand même trop chiante...
Episode 19 :
– Parce que j’espère qu’elle va le comprendre vite.
Il ne sait pas quoi répondre. Le silence laisse crépiter le feu entre nous. Je ne sais plus quand on a fini par s’assoupir. Le matin nous trouve plus ou moins emmitouflés dans nos sacs respectifs. Le feu éteint et la brume humide finit de nous laisser un goût de début de crève.
Soa s’agite en couinant qu’elle a super faim. Je finis de décoller mes paupières de sommeil avant d’aviser un troquet qui ouvre ses rideaux de fer. Au moins on pourra se jeter un café dans le gosier et se réchauffer un peu.
On s’installe, à côté du radiateur, collés les uns aux autres, sur une banquette de simili cuir rouge. Le serveur nous regarde avec le sourcil arqué. Ce que ça peut être couillon un parisien. Il a même pas besoin de l’exprimer, c’est gravé sur le sourire narquois de ses lèvres.
Nico grelotte sur sa tasse de chocolat qui vient d’arriver. Soa essuie avec une serviette de table son nez qui fait fontaine. J’ai peut être un peu abusé avec ce plan foireux… Néanmoins aucun reproche ne tombe. Je vois même des petits sourires naître entre ces deux là. Cela me fait tellement de bien dans le cœur que j’oublie presque mon dérapage nocturne. Presque.
Un coup de vibreur m’arrête le cœur. J’espère Miss Ness une semi demi seconde. Putain je suis pas croyable, faut que je me mette à kiffer la seule qui doit rester en dehors de tout ça pour m’aider. Quel gros con je fais…
Je dégaine l’appareil pour y lire :
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1 - Une saloperie de pub à la con.
2 - Un enième message de la mère de Soa.
Episode 20 :
Je dégaine l’appareil pour y lire un énième message de la mère de Soa. Dans un soupir, je la rassure avec une phrase laconique, pour la énième fois aussi. Je commence à comprendre pourquoi Soa l'ignore autant que possible. C’est plus intrusif à ce niveau c’est carrément de l’infiltration de haut espionnage…
Soa me lance un petit sourire en coin, elle a saisi le manège et ne se sent pas vraiment coupable. Plutôt soulagée de m’avoir refilé la patate chaude.
– Va falloir envisager de rentrer, propose ma voix à moitié éraillée par la nuit bien trop fraîche.
Je reçois des hochements de têtes enthousiastes et une vingtaine de minutes plus tard nous voilà engouffrés dans ma voiture. Chauffage en soufflerie et album beaucoup trop pop déferlant dans l’habitacle, je tente de me concentrer sur le trajet et pas sur mes pensées.
Hélas, la monotonie de l’autoroute lâche les démons dans mon esprit. Maintenant que la scène est remontée à la surface, elle me hante en boucle. J’ai un goût acide dans la bouche. Je ravale mes cris de rage et de douleur. Pas le moment de sortir ça ici. Nico et Soa se sont endormis sur la banquette arrière, lovés l’un contre l’autre, couverts de leurs manteaux. Leurs visages apaisés amènent une maigre lueur dans mes ténèbres.
Les kilomètres défilent et nous rejoignons finalement la métropole. Je m’engouffre dans le parking de l’immeuble quand mes deux tourtereaux se réveillent enfin. Ils m’aident à remonter nos affaires, on commande des pizzas et par automatisme on se lance une série aléatoire sur la télé.
Tout est simple. Je me sentirais presque serein si le film avait cessé dans ma tête. Hélas ce n’est pas le cas.
Le téléphone vient encore me déranger. J’ai envie de l’ignorer, c’est forcément la mère de Soa. Ma main n’écoute pas mon besoin d’indifférence et m’impose l’écran devant les yeux. Le message est de Miss Ness. Mon cœur sursaute. Je le consulte, les nerfs à vif.
« Quand passez-vous reprendre votre manteau et me régler votre séance, Alderic ? »
Le souffle court, je reste le pouce levé au-dessus du clavier virtuel.
– Hey, ça va pas, vieux ? Demande Nico, surpris de mon état de sidération.
– Si si, je dois sortir faire un truc, laissez-moi de la pizza.
Je décolle mes fesses du canapé et chope un gros sweat. Je suis en bas de l’immeuble quand je pense à répondre un expéditif :
« Maintenant ».
La logique aurait voulu que je vérifie au moins qu’elle soit d’accord, mais je m’engouffrais déjà dans le bus qui venait de se pointer à l’arrêt face à moi.
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1/J’avais tellement hâte de la voir.
2/J’avais tellement besoin de lui parler.
Episode 21 :
J’avais tellement besoin de lui parler. C’est seulement une fois arrivé devant l’immeuble où se trouve son cabinet que je pense à jeter un œil à mon téléphone.
Aucune réponse. Mince… Elle n’est peut-être pas sur place aujourd’hui ou en séance… Qu’est-ce qui m’a pris de foncer comme ça sans ses indications. Les bras le long du corps je n’entend les pas précipités derrière moi qu’au dernier moment.
– Ald… Alderic, soupire une intonation familière.
Je me retourne surpris de trouver Miss Ness toute proche, manifestement essoufflée.
– Je suis désolé, j’aurai dû attendre votre réponse, tente de s’excuser ma voix tout bas.
– Non ! Non pas du tout ! Je pensais juste que vous étiez peut-être bloqué dehors alors je suis venue rapidement. Cela semblait urgent pour vous.
Je la regarde remettre de l’ordre dans ses cheveux, ses lunettes, ses propos. Elle est très belle avec ses joues rosies par la course.
– Euh… rien d’urgent à ce point. Vraiment. Pardonnez-moi de vous avoir inquiété…
Elle fouille dans son sac et sort ses clefs en bredouillant que ce n’est rien, que c’est son travail. Je la sens légèrement fébrile et j'entrevois quelques idées que j’ai presque aussitôt honte d’avoir.
Je la suis sans rien ajouter. Une fois dans son bureau, je lui pose l’argent de ma séance près de son ordinateur portable. Je la laisse ouvrir son agenda pour fixer notre prochain rendez-vous, vu que j’ai eu la connerie de dire qu’il n’y avait rien d’important. Je me sens incapable là de m’effondrer devant elle comme une merde.
Immobile, comme planté devant elle, mon manteau à moitié broyé dans la main, j’attends qu’elle lève les yeux depuis ses grandes lunettes rondes, ce qu’elle fait enfin.
– Vous êtes certain que vous allez bien, Alderic ?
Un frisson glacial me dévale la colonne vertébrale et me soulève le cœur.
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1/En fait, non…
2/Oui, oui. Tout va bien. À mardi. Encore désolé… pour tout...