J'attendais d'avoir chaud. À la manière des animaux à sang froid, la surface du corps collée à la terre, patientant que Nadir devienne Zenith. Je restais tapie jusqu'au chaud, jusqu'au trop chaud. Et alors enfin, sous le soleil brutal, je sortais. Robe légère, collant à mes premières sueurs, je traversais la cité assoupie, les terrasses de café abandonnées pour les fonds de salles climatisées, les places vidées de leurs petits vieux partis à la sieste. Il y avait comme une musique étrange entre le rythme de mes pas, les battements discrets de mon cœur, et le ronflement des ventilateurs expulsant l'air chaud des habitations. Je savourais la ville brûlante, comme on se délecte d'un amant, parcelle de peau par parcelle de peau, lentement, sensuellement, plongée toute entière dans l'indolente jouissance. Au détour du parc municipal, je l'ai vu. Il avait l'air de m'attendre depuis un siècle, une année, un mois, une heure, une minute ... à peine une seconde. Il m'observait avec ses émeraudes vertes immobiles, aussi statique que l'air épais à l'aube des orages. À mon approche, il se dressa sur ses quatre pattes, et sans vérifier que je lui emboîtais le pas, il descendit, en houlant son corps fauve, les marches en pierre de taille qui s'organisaient en escalier sous le porche d'un groupe d'habitations colorées, reliées entre elles par des linges divers, étendus dans le mercure du ciel. Mes espadrilles nouées autour de mes chevilles bronzées s'avancèrent à leur tour dans la même direction, s'amusant de la variation de parcours. Au centre de la cour ombragée, le chat attendait dans sa robe moirée. Il semblait se moquer de moi avec sa truffe rose surmontant son sourire étiré. Adorablement agacée, je regardais les murs blottis, sous les orangers qui se cognaient les uns aux autres pour éviter les rayons indiscrets du soleil, feignant d'ignorer sa narquoise présence. Nous jouions ainsi l'un de l'autre lorsqu'une porte s'entrouvrit sur la cour, nous laissant à la fois curieux et attentifs. Mais rien d'autre. Juste ce petit filet d'ombre coulant de cette porte entre-baillée. Le chat se lève et sans hésiter se glisse dans l'embrasure. Je m'interroge, puis me glisse à sa suite, sans bruit. À l'intérieur il fait frais, ma robe se plaque à ma poitrine qui se soulève au rythme de mon souffle retenu. Mon cœur tambourine à mes oreilles tandis que devant moi la silhouette féline se dessine dans le corridor. Droite et décidée, elle disparaît à travers une ouverture plus petite donnant vers une lumière chaude. Je m'avance aussi, mes pieds s'entichant de mes espadrilles hésitantes. Et finalement, j'émerge dans une autre cour, plus petite, exposée entièrement au soleil brûlant. Le chat est là, allongé à même le pavement crème et lumineux, je viens m'étendre près de lui à mon tour. Les yeux plissés sous la domination solaire, je laisse mes cuisses s'étendre délicieusement sur la surface lisse. Il ronronne. Ma bouche s'apaise sous l'embrassade des rayons. Je m'assoupis. Lui aussi. Chaud, j'attendais d'avoir chaud.
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