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Le temple de la montagne






Je me souviens de ces temps anciens où nous étions amants. Je n’étais pas vraiment femme, tu n’étais pas vraiment homme. Le temps était lourd, buffle épais à l’odeur soufré. On y peignait sur la berge le drapeau des navires mordorés. Nous regardions cela de loin, à l’aube fraîche, au fronton du Temple. Presque innocents. Presque purs.


Depuis notre espace sacré, nous récitions par coeur des prières qui nous faisaient rire. Tout cela était merveilleusement absurde et nous le savions si bien. J’entends encore le pas pressé des officiants, les réprimandes sur nos escapades, quand d’être chastes et sages ne nous amusaient plus et que nous restions, durant des heures, de délicieuses heures, introuvables.


Tu m’avais pris la main, ce matin là, je me souviens. Ta voix susurrait, en éclatante cascade, à l’abri de mon oreille de quoi ébranler toutes les fondations de l’Ordre divin. J’avais ce petit rictus que tu aimais tant. Ce jour-là, mon amour, nous avons dévalé la montagne, pieds nus, à peine couvert de tissus immaculé. Te souviens-tu ? Te souviens-tu de la joyeuse chanson du vent qui courrait auprès de nous ?


Je me souviens, je me souviens. Ta main dans la mienne, la forêt épaisse, notre souffle court, la mélodie ample et fraîche de la rivière. Tes yeux qui jouaient déjà avec les miens. Ta bouche si désirable et puis, et puis, le goût de nos baisers. Tes doigts dévalant plaines et vallons sous ma tunique. La complainte de mes soupirs.


Maintenant, encore frissonnant, mon coeur déroule la scène, ému, en suspens, comme on observe la vie éclore. C’était hier, c’était ici, à peine à l’instant. Je peux le sentir, ton corps chaud tout contre le mien, les vagues de nos désirs, parcourir nos âmes et les jeter l’une contre l’autre, comme l’eau rejoint l’eau, comme le feu embrase le feu.


Est-ce que tout cela valait la terrible chute de nos êtres, surpris d’aimer, bousculés jusqu’à l’exil, bannis, honnis ? Oui, mon amour, oui, mon aimé… Et bien plus encore. Car toutes les statuaires d’ivoire, d’or et d’améthyste ne sauront bénir aussi fort la vie, que moi dans tes bras.


Car tous les dieux nous enviaient et nous portaient. Que je les sentais comme je te sens encore tout autour de moi…


Tout autour de moi dans tes bras.

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