Quand je reste assise un peu trop longtemps sur un banc, que le ciel m'observe dubitatif et silencieux, je rêve au vieil amant. Dans un autre temps, une autre époque, un âge que mon corps n'aurait pas dû connaitre, je me redresse et sens sa présence, du coin de l’œil, un peu de rosée accrochée aux cils, je retiens mon souffle.
Il a la silhouette impeccable, et porte chapeau et veste grise. Je pose mon regard sur mes jambes cachées par une jupe longue. Je ne veux pas prendre le risque de le voir disparaître.
Une fragrance d'ambre ou peut être un peu de patchouli, du musc et ce frottement du cuir contre mes narines ouvertes sur l'automne clément et il est là, debout, tout près et respectueusement immobile. Si je ne dis rien, il passera son chemin. Si je lève les yeux, je dissiperai le fantasme de sa présence.
Je frissonne.
Il hésite.
Je me pousse légèrement, offrant une place à mes côtés.
Sans tourner la tête, je peux le voir s'y asseoir, son couvre-chef sur les genoux. Je crois que je souris. Il n'est déjà plus qu'une brume dans le jour qui s'étiole, quand je sens son souffle près de mon oreille. Quelque chose de chaud me remue le cœur, quand de sa voix délicieusement cassée, il me murmure des mots qui n'ont plus de sens aujourd'hui.
Au loin, j'entends un quartet de Jazz, et quelques moteurs bruyants de berlines noires et lustrées. Autour de moi, le paysage prend une teinte de photo passée. Je crois qu'une larme coule sur ma joue.
Il lève doucement sa main, et glisse ses doigts tout contre. Je me penche vers lui.
Et déjà il n'est plus, mon vieil amant.
Les lèvres en suspens, je goûte le doux amer de ce moment évanoui, puis secrète, je rentre chez moi.